Le public s’est depuis longtemps divisé entre les deux tendances torerista et torista. Pour autant que je me souvienne de mon expérience d’aficionado, j’ai toujours connu cette différence de goût ou plutôt cette inclination à s’intéresser plus au taureau ou davantage au torero.
Ce qui s’est passé à Dax me semble être une affirmation, voire une forme de revendication assumée de ce qui n’était pas considéré comme un travers honteux mais plutôt une faiblesse, à savoir considérer le taureau non plus comme un adversaire mais plutôt comme un collaborateur. On se souvient même du concept bizarre du « toro-artiste » !
Si j’en crois ce qu’en ont rapporté tous les observateurs, y compris les admirateurs du Victoriano, on a donc indulté un animal de trapio modeste, d’armures en rapport et qui ne prit qu’un « quart » de pique. Au vu de témoignages, il a ensuite fait preuve d’une charge aussi inlassable que noble, voire naïve jusqu’à l’obtention de son salut. Et certains de plaisanter que le torero aurait pu poursuivre la faena jusqu’à vingt-deux heures.
Et, partie dit-on du callejon, la demande gagna les tendidos, s’amplifiant puis grondant jusqu’à ce que le président, dans un souci d’éviter l’émeute, ne cède à la pression populaire. On sait qu’émotion ne rime pas avec raison et que la foule, dans ce cas, se met au niveau des plus virulents d’entre elle, surtout si les professionnels en piste attisent ces manifestations.
Soit. Mais les transes apaisées, comment peut-on comprendre la justification de ce qui est proprement injustifiable ? Comment peut-on lire un compte-rendu balayant tout débat au motif d’une sorte d’hystérie qui devrait tout emporter ? Q’un spectateur occasionnel plus ou moins averti soit transporté par l’enthousiasme collectif, on le conçoit fort bien. Mais qu’un journaliste taurin qui assiste à un nombre considérable de corridas de toutes sortes perde tout recul, cela me laisse pour le moins dubitatif. Dans le même ordre d’idée, on peut lire sur un site taurin (pas en lien à partir d’ici…) une justification sidérante de cet indulto.
Heureusement, il reste une frange de réactions à cette folie collective et le superbe texte de Xavier Klein sur C y R devrait être publié dans tous les journaux et lancé en tract au dessus de la cité thermale. Cela permettrait de prendre conscience du délire qui s’est emparé de la plaza dacquoise qui est tombée lourdement du coté où elle penchait depuis longtemps.
Soyons clairs : il ne s’agit pas ici de réclamer des affiches de terreur où des toreros ne seraient là que pour tenter de sauver leur peau face à des monstres dont le seul intérêt seraient d’accumuler les charges aux piques et, pour le public, de s’enthousiasmer aux batacazos. On peut apprécier les deux faces de la Fiesta Brava, et être ravi d’une faena d’artiste (plutôt le « sentiment » de Morante que l’abattage de Perera à mon goût …). Mais la vérité, l’avenir ne se trouve pas dans cet affadissement, cette mièvrerie qu’on veut nous faire passer pour de la noblesse. Evacuer en deux lignes l’indigence du premier tiers, c’est faire fi de la qualité essentielle d’un taureau brave. Concernant la faena, il est inconcevable qu’un taureau de combat puisse prendre « ..deux cents passes… », ou alors ce n’est plus qu’un benêt.. Et ne pas le dire, ne pas l’écrire, de la part de ceux qui sont lus ou entendus, constitue une lourde responsabilité. Celle de mépriser celui qui doit être le héros de cette fête sauvage en célébrant la servilité obtenue par l’élimination génétiquement programmée de la véritable caste. Celle de ne pas ouvrir les yeux aux moins avertis et de se faire les complices objectifs de toutes les manœuvres des taurins destinées à saper l’authenticité de la corrida.