Départ vendredi après-midi, escale à Aranda de Duero (trajet promptement mené, sans voir de radar, espérons que la réciproque soit vraie…) arrivée vers 23.30 H à Madrid sous une pleine lune faisant du ciel nuageux un plafond de lueurs bleues mêlées d’ombres noires.
Soleil et azur samedi matin. Lecture de la rubrique taurine d’ « El Mundo » qui nous apprend la grande peur de la veille aux arènes lorsque Francisco Marcos fut secoué comme poupée de chiffons après avoir été inconscient suite à une voltereta. Bilan : deux sérieux coups de corne dans la cuisse gauche et un traumatisme crânien pour le navarrais. Grave objectivement. Heureux après l’angoisse que vécut le public.
Rendez-vous matinal à Las Ventas pour visiter le Musée Taurin. Musée de taille réduite, mais chargé d’histoire, plutôt tragique d’ailleurs. Y figurent une petite dizaine de têtes de toros dont deux célèbres, tristement célèbres : « Burlero », le Marcos Nuñez qui nous enleva le Yiyo. Il avait pourtant une bonne tête, au contraire de « Perdigon », un Miura castaño à l’aspect terriblement inquiétant qui, en 1894, perfora la cuisse droite d’El Espartero et l’envoya au paradis des toreros.
Dans la droite ligne du goût morbide qui règne au sud des Pyrénées, est exposé le costume de ce même Yiyo le triste jour de cette tarde de Colmenar Viejo et sa chemise uniformément marron du coté gauche, où son cœur se vida. Figure aussi le costume de Manolete, transpercé en haut de la jambe droite un soir d’août 1947…
Qu’on se rassure, on peut aussi y voir des pièces moins dramatiques, comme la robe de lumières (mais si, mais si ! ) portée par Juanita Cruz, la « Diosa del toréo » dont la carrière, barrée chez elle, par le machisme castillan, se déroula brillamment de 1933 à 1947, mais en Amérique du Sud.
A noter aussi une série de dessins de Goya dont un étonnant, où un homme habillé en picador, exerce son art, en selle sur un…toro !
Nous quittons le musée situé dans le patio de caballos à présent rempli de taurins et dont la file d’attente pour l’apartado s’allonge démesurément. Nous lui préférons un moment à la terrasse du bar « El Espejo » sous les frondaisons du bord de la Calle de Alcala, à un jet de montera de la Plaza Colon. Déjeuner, excellent, conclu d’une copita histoire d’accroître notre optimisme avant le départ vers Las Ventas.
Entrée par la porte de l’arrastre. Beaucoup de monde dont l’inévitable père Victorino qui, toutes dents dehors, salue avec effusion toreros, taurinos, aficionados, chevaux des piqueros jusqu’au chien du concierge… On distribue, à la porte, la « Voz de l’aficion », feuille de critiques plutôt virulentes sur la gestion des arènes madrilènes (Nous y reviendrons dans les jours prochains) Nous rejoignons nos places. Tendidos très bien garnis pour un cartel qui ne saurait être qualifié de prestigieux.
Paseillo où l’on remarque un superbe « traje » intégralement rouge d’ESPLA. Clarines. Et sort « Cartuchero » imposant negro bragado de 560 kgs. Il jette les pattes dans les trois véroniques qu’il consent à prendre avant de courir au loin. On remarque une corne gauche peu commode et le torero doit s’employer pour placer et replacer aux piques un toro bien rétif qui pousse correctement la première, moins la seconde où il fléchit. ESPLA, de son pas de sénateur, met une demi-heure à rejoindre le toro qui s’est réfugié au burladero du tendido 5. Deux paires « al cuartéo » anodines et une troisième assez exposée entre toro et barrières. Début de faena où le toro se défend. Suivront trois séries à droite de plus en plus défensives et trois naturelles sans vibration. Un pinchazo prudent et trois-quarts d’épée où le métier du torero fait merveille. Sans peine ni gloire, le toro ne permettant pas plus. Silence pour les deux protagonistes.
Voici « Limon », negro salpicado, armé long, haut et aigu, 540 kgs qu’il déplace allégrement dans la piste mais pas dans la cape de TEJELA. Un quite précis, applaudi, d’ESPLA évite une rencontre à l’improviste avec le picador. Une pique poussée par à-coups, l’autre de pure forme. Effet de la méfiance de la cuadrilla suite à un avertissement à gauche ? Toujours est-il que le tercio de banderilles est plus qu’hésitant. La faena débute à droite où le toro charge avec beaucoup d’allant et une tête très mobile. Deux autres séries sur le même coté, de bonne qualité du fait du torero mais aussi du toro qui ajoute agressivité et mobilité pour rehausser la transmission. A gauche, la charge est moins claire mais TEJELA s’accroche et démontre de l’aguante. Le succès semble au bout de l’épée. Le torero se profile, cite. Le toro charge de manière un peu bizarre, en fléchissant, et l’épée s’en trouve en arrière et tombée. Suffisante pour en finir avec le toro. Insuffisante pour provoquer une pétition. Et l’oreille entrevue se transforme en salut au tiers fort applaudi. Une vuelta ne m’aurait pas choqué, surtout au vu de la suite. Des applaudissements avaient salué la noblesse encastée et la mobilité de « Limon ».
A « Cubilon » de sortir et de promener de manière un peu incertaine ses 561 kgs, avec quelques fléchissements qui provoquent des protestations. Les faibles poussées lors des deux rencontres au cheval renforcent les manifestations mais le mouchoir sorti est…blanc. Peu piqué, le toro se montre mobile aux banderilles. PERERA qui n’avait encore presque rien fait, attaque sa faena avec deux statuaires et une aidée. Deux séries à droite templées mais lointaines, deux à gauche sans vibration. Ceux du « 7 » font savoir au torero qu’un peu plus d’engagement ne ferait de mal à personne. PERERA pense pour sa part que cela lui ferait peut-être mal et prend l’épée. Une entière tombée en abandonnant la muleta. 4 descabellos. Toro sans caste ni force, torero ennuyeux. Silence poli pour les deux.
Revoilà ESPLA plus tranquille que jamais. Quelques véroniques pour le joli mais boiteux « Pitonista » qui rejoint les corrales cerné par la fameuse équipe des cabestros locaux. On ne gagne pas au change avec « Vendaval » 510 kgs, de chez José Luis PEREDA. Abanto, ne paraissant guère plus gaillard que celui qu’il a remplacé, on ne lui administre que deux picotazos aussi appuyés qu’une devise.
Aux palos, ESPLA, après un cuarteo facile, exécute deux sesgos por dentro exposés et risqués devant nous. Montera sur la tête, il fait « le métier » devant ce triste toro décasté et faible, chargeant à mi-hauteur. Deux séries à gauches, deux à droite. Un pinchazo de voleur de poules, trois-quarts d’épée de vieux routier. ESPLA tel qu’en lui-même, agaçant parfois, mais le seul torero que l’on regarde quand il ne torée pas. On le regrettera quand il partira.
« Picota », toro noir et veleto, 543 kgs, jette aussi les pattes en avant dans les deux-trois véroniques qu’il prend à la sauvette. Il confirme ses faibles dispositions au cheval : une pique (au milieu du dos ! Et oui, à Las Ventas aussi…) dont il sort très vite et une autre où il ne s’emploie pas trop. Quite décidé de TEJELA. Tercio de banderilles bien mené par la cuadrilla du madrilène. Cette fois-ci, brindis au public de Matias qui débute joliment la faena face au toro mobile et à la charge assez claire. Une bonne série vibrante à droite, une deuxième où la muleta est un peu accrochée. Une autre correcte. A gauche, TEJELA torée en retirant brusquement la muleta pour éviter qu’elle soit touchée par le toro. On sent que la faena se délite, que le torero s’énerve de perdre techniquement le fil de ce combat. Une série à droite et une autre à gauche pour consommer le divorce entre toro et torero. Une estocade entière. Salut au tiers déçu de part et d’autre, quelques protestations dans la zone du « 7 ».
« Fatraon » qui clôt l’envoi, est le plus lourd, 574 kgs, mais semble surtout très haut, fort armé et peu solide des pattes. Il défile dans la cape sans baisser la tête. Première pique prise sans pousser, la seconde en chargeant par à-coups. Confirme son manque de caste aux banderilles, secouant le dos sous les fers et chargeant tard. Au vu de ce comportement bien terne, on est surpris, et dubitatifs lorsque PERERA vient au centre brinder ce toro au public. Début au centre « castellesque » avec un pendule, une statuaire et une « cambiada », cette dernière un peu bougée. Deux séries à droite, anodines, avec un pecho médiocre pour conclure la deuxième. A gauche, le toro hésite, proteste et le torero extrait deux naturelles méritoires. On poursuit par un toréo « encimiste »et on termine par trois molinetes et un pecho. Une bonne estocade entière. Et là, incrédules puis consternés, on assiste à une grande pétition et à l’oreille qui en découle. Là, vraiment, il y a matière à douter du sérieux du public de ce jour. Une faena certes méritoire mais devant un manso décasté, mais sans une seule série vraiment bonne, cela peut à présent suffire pour obtenir un trophée. A Madrid, on sait désormais qu’il y aura des « grosses » et des « petites » oreilles.
Sortie pensive en admirant la beauté des galeries de Las Ventas éclairées ; un bar hospitalier nous fait oublier cette déception. Fin de soirée à débattre, sans sérieux du monde des toros et de l’hypothétique retour de José Tomas avant d’aller se coucher. Dimanche matin, le soleil brille toujours. On se sépare avec l’espoir de vite se revoir… Halte en Navarre à Argomañiz, arrivée en soirée. Douze cent kilomètres aller-retour, c’est parfois beaucoup pour des toros, ce n’est jamais trop pour rencontrer des amis.
Bronco
Album photo
P.S : Je ramène dans les bagages un cadeau : le DVD de la corrida de 1993 où Joselito tua seul six toros à Las Ventas. Au fait, combien d’oreilles ce jour là... ?