Voici donc en intégralité le point-de vue de BETIALAI sur la manière de toréer de José TOMAS. Il est susceptible de faire hurler les « tomasistes » purs et durs. Néanmoins, il me semble mériter d’être lu avec attention comme tout ce qui ne va pas dans le sens des opinions majoritaires. Le sel de l’aficion, c’est aussi le débat.
La maladresse
C’est arrivé avant-hier à Linares, à Santa Margarita, une arène aux relents de tragédie par ce qui s’est passé voilà soixante-dix ans et qui reste gravé dans l’histoire de la tauromachie. On connaît le refrain : tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse, et il ne s’agissait que d’une simple question de probabilité mathématique, de statistique, pour qu’un des animaux lidiés finisse par parvenir à blesser le Messie de Galapagar.
Même avec des cornes arrangées, même s’ils appartiennent à des encastes très adoucis pour parvenir au toro-artiste, en les transformant en dégénérés, il peut arriver qu’un lointain souvenir de ce que furent leurs aïeux et parvenir, fusse par hasard, à encorner le torero.
Ce qui est impensable, c’est que d’une après-midi à l’autre, un matador de toros professionnel se retrouve systématiquement envoyé en l’air et n’essaie pas d’en trouver la raison ni les moyens d’éviter que cela ne se reproduise.
Alfonso Navalon, dont nous venons de commémorer le deuxième anniversaire de la disparition, avait déclaré que José Tomas ne savait pas toréer. Ce fut une des rares fois où je ne fus pas d’accord avec ce grand maître de la critique, car durant son début de carrière, José toréa, très bien, toutes sortes de toros. On pouvait discuter son style, ne pas le considérer orthodoxe mais ce qui ne faisait aucun doute, c’est que, s’aventurant dans des terrains dangereux, il se plaçait à la bonne distance sans prendre les avantages habituels, il guidait le toro, chargeait la suerte, le faisant revenir derrière lui, restant placé pour enchaîner la passe suivante. En le portant absorbé dans sa muleta, il le soumettait à sa guise : en un mot, il dirigeait sa charge, ce qui constitue la règle indispensable lorsqu’on parle de toréo. Ce qui ne peut se faire que lorsque c’est réalisé sincèrement et que l’on possède les fondamentaux pour pouvoir les mettre en pratique. Et il le réalisa face à beaucoup de toros de respect plutôt moins que devant d’autres sélectionnés idéalement pour l’occasion et, curieusement, à cette époque, il ne rencontrait pas les problèmes actuels.
Ensuite, nous savons tous ce qu’il advint. De la même manière que Corbacho qui mit d’accord l’immense majorité des aficionados, et aussi pour le départ de Joselito Martin Arranz depuis lequel rien n’est plus pareil. Lassé, saturé, marqué au physique comme au moral, il se résolut à partir, nous laissons la triste sensation d’avoir goûté à la douceur mais qu’il ne s’agissait que d’un mirage, de ce qui aurait pu être et ne fut pas.
Donc, lorsqu’ il y a quelques mois, son retour fut annoncé et que les gens s’exclamaient sur l’événement, j’ai manifesté ouvertement mon scepticisme, me demandant si Tomas allait bien être celui que nous pensions aller voir. Hélas, pour l’instant, tout laisse penser que cette période sera moins glorieuse, qu’il n’a toujours pas tenté d’en chercher les raisons ni d’ essayer d’éviter de se faire prendre par les toros.
J’avais écrit, mot pour mot, dans ma chronique-post du 17 août, après son passage à la Semana Grande d’Illumbe : « Ceux qui avaient vu toréer le José de la première époque auront tendance à dire que nous l’avons vu maladroit, avec les défauts identiques à ceux qui lui furent reprochés lors de ses dernières temporadas. » Et je disais maladroit car, plus que toute autre chose, mon attention fut attirée par cette impression de gaucherie. Impression d’absence de certitude et de sécurité dans ce qu’il était en train de faire, alors qu’il a pu apprendre et mettre en pratique les connaissances et fondamentaux, ces qualités dont il avait fait preuve et qui nous avaient enchantées par le passé.
Quelques jours après ce qui ce passa à Malaga, et les échos que cela suscita dans les médias, on assista à des réactions de toutes sortes traitant des toros, des toreros, et surtout de José Tomas, y compris venant de ceux qui, généralement, ne se soucient nullement de tout ce qui a trait à la Fiesta . Ainsi, Luis Solana, dans son blog, titra : « Ils ont empêché un suicide. » , ce qui provoqua de nombreuses réactions très variées, dont la plus avisée s’avéra être celle de Rosa Jimenez Cano qui réagit dernièrement, en replaçant , et il fit bien, le débat sur le terrain de la tauromachie pour conclure , en tranchant, de manière laconique : « Il ne s’agit pas de suicide, mais de maladresse. »
Il s’agit d’une pure coïncidence mais logique jusqu’à un certain point en parlant de lui. Et le fait est que, trêve de balivernes, le toreo a été inventé pour permettre à l’homme de tromper une bête sauvage et lui permettre de survivre dans ce jeu mortel. Plus tard son évolution l’a fait évoluer vers la création esthétique et l’émotion artistique quand, et seulement dans ce cas, s’il est réalisé selon certaines règles et techniques fixées depuis fort longtemps.
Il est nécessaire que ces gestes soient toujours parfaitement coordonnés, de même que l’âme et le corps du torero doivent se trouver en accord lors de la réalisation. Et que l’on en finisse avec ces histoires que veulent nous raconter ceux qui, depuis toujours, veulent abuser de la crédulité du public. Ils nous parlent de mysticisme, de courage impensable, de placement invraisemblable, de stoïcisme extraordinaire et autres sornettes. En vérité, au début de l’apprentissage, on apprend que la première règle consiste à guider, soumettre et dominer les toros et que, pour y parvenir, il est nécessaire de posséder les moyens de les guider, soumettre et dominer. Cela fait bien longtemps que José Tomas pratique un toreo qui, bien qu’à certains moments il rappelle ces principes, présente un sérieux déphasage entre ce qu’il fut auparavant et ce qu’il est maintenant.
Parce que, quand cette technique ne sert pas, c’est bien parce que les canons ne sont pas appliqués ou quand les choses ne se déroulent pas comme elles devraient, c’est qu’au mieux on ne peut appliquer les gestes comme la tête les commande et l’on doute. Ainsi l’on perd la sécurité et la certitude pour les effectuer et, au contraire, on laisse cette impression de maladresse qui marqua les dernières prestations du torero de Galapagar avant son départ et qui transparaît à nouveau depuis le 17 juin où il est de retour dans les arènes.